Père Jean Salvail, Le Curé Motard de Sherbrooke, Québec
En 1969, le club de motards Dirty Reich de Sherbrooke change officiellement son nom pour The Gitans lors d’une assemblée générale tenue ce printemps-là. L’événement a été couvert dans l’édition du 19 juin 1969 de La Tribune comme s’il s’agissait d’un reportage sur une affaire gouvernementale au Parlement du Québec. Il faudrait un certain temps, notait consciencieusement La Tribune, pour que les membres produisent de nouveaux écussons qui coûteraient 500 $ au club – leur trésorerie pourrait-elle en supporter les frais ! Il y a eu une longue discussion sur le simple fait de patcher et de rejoindre Le Quebecois MC dans la ville voisine de Granby, cela résoudrait le problème, car il a été avancé que “Dirty Reich” n’était pas assez français – bien que le nom ait certainement une sensation européenne du vieux monde à ce. Au final, un vote à la majorité l’a emporté et les Gitans sont nés.
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La Tribune a rapporté sur «d’autres projets», comment les Gitans travaillaient sur une campagne de financement pour acheter une grange délabrée à Saint-Denis de Brompton, un petit village situé à environ 20 kilomètres au nord-ouest de la ville de Sherbrooke. La collecte de fonds avait commencé et un lavage de voiture le week-end était prévu pour amasser 500 $ pour l’achat, et 500 $ supplémentaires pour la rénovation et les travaux d’aménagement paysager. Au final, les motards ont obtenu leur quartier général, l’un des premiers des « bunkers ». D’autres horreurs communautaires finiraient par apparaître à Lennoxville et à Sorel-Tracy.
Au cours des étés 1969 et 1970, La Tribune a tenu une page quasi hebdomadaire sur les problèmes de la jeunesse en chantant les vertus des clubs de motards comme les Gitans de leur ville natale. Plus de détails sont apparus sur le bunker de St. Denis de Brompton. Le père d’André Coulombe, le jeune motard tué dans un accident de moto ce printemps-là travaillait maintenant à la construction de l’installation, et les motards ont remercié tous ceux qui avaient «fourni des matériaux, des planches, du sable ou du ciment». Semblable au “clubhouse” du MUQ de Montréal (situé sur un terrain donné par la ville d’Anjou et British Petroleum), il y avait une étendue de bois à l’arrière où les membres pouvaient organiser des courses… ou fournir les distances nécessaires pour que le public ne puisse pas observer ce qu’ils faisaient. Rappelons que Teresa Martin a plus que probablement été assassinée au club-house du MUQ. Un membre des Gitans a commenté que le terrain était assez grand pour que le public ne puisse pas entendre le vrombissement des moteurs de moto… ou le cri d’une femme.
Ne remettant plus en question les motivations des Gitans, La Tribune blâme désormais le public pour ses préjugés et son ignorance :
« Ça donne à penser qu’au fond les motards ne sont pas si différents des autres très jeunes de leur âge. Si nous ne tenons aucun préjugé qui nous emploie contre les motards. peut-être serions-nous plus disponibles pour découvrir une image plus réelle, et des valeurs plus positives que celles auxquelles, malheureusement, nous sommes habitués de la part des sensationnalistes.”
La Tribune
Le journaliste d’un intérêt particulier, André Bernier, a écrit :
« Chez les Gitans, comme c’est le cas pour plusieurs clubs de motards, il faut respecter certaines lois. Par exemple, aucun membre ne peut faire quoi que ce soit qui puisse nuire à la réputation du club. De plus, le port d’armes et la consommation de stupéfiants sont interdits.”
“Un club basé sur une organisation solide », André Bernier, La Tribune – 27 septembre 1969
DA cette époque, les Gitans se cachaient encore derrière la soutane du Père Jean Salvail, le curé motard de la Ste. Famille de la paroisse de Sherbrooke qu’on appelait désormais « le « grand chef » des trois clans », car il était devenu l’aumônier des clubs de motards voisins de Cowansville et de Frelighsburg. Les Gitans se concentraient désormais sur un nouveau projet :
« d’adhérer au MUQ (Motards Unis du Québec). Si le projet se concrétise, il leur sera possible de participer à une activité d’envergure à travers la province. De plus, ils pourront fraterniser davantage avec d’autres motards de partout au Québec.”
« Un club basé sur une organisation solide », André Bernier, La Tribune – 27 septembre 1969
La consolidation avait clairement déjà commencé et, selon un membre des Gitans, le club a reçu une aide divine pour l’aider à s’organiser. Dans le même numéro de La Tribune, le journaliste Raymond Lapine dresse le portrait du prêtre motard au titre fulgurant : « Un aumônier pas comme les autres ». Salvail a été crédité d’être,
« … un peu penseur, un peu plus expérimenté. Et les gars lui font confiance quand il s’agit de prendre des décisions rapides ou de résoudre des problèmes d’organisation compliqués ». Il ne fait pas tout, loin de là. mais il peut aider les gars à s’organiser.”
« Un aumônier pas comme les autres », Raymond Lapine, La Tribune – 27 septembre 1969
Le ministère de Salvail s’est étendu à travailler avec “les gars” et à les aider avec leurs problèmes. Il y a même des photos de Jean Salvail travaillant sur la rénovation de leur projet de grange à St. Denis de Brompton. Il convient de noter te mouvement d’adhésion à La MUQ a été une manœuvre tactique plutôt brillante. Maintenant, à chaque fois qu’un motard se faisait virer par la police à Montréal, ou vice versa, vous pouviez simplement dire que vous étiez là pour les affaires du MUQ, alors que votre véritable objectif était la distribution de stupéfiants et le trafic de jeunes filles, et avec tout ce commerce illicite menée sous la bénédiction directe de la police, du gouvernement et maintenant de la force sociale la plus puissante de la province : l’Église catholique.
Pendant ce temps, à Sherbrooke, la ville avait du mal à comprendre pourquoi la criminalité augmentait. En mars 1969, le maire Armand Nadeau a donné le coup d’envoi de la « “Obey the Law Week” » et a imputé la hausse de la criminalité aux « citoyens qui refusent d’aider leur service de police ». Faut-il s’étonner que les gens de Sherbrooke aient été troublés lorsque les mêmes chefs leur ont dit que les vrais criminels n’étaient qu’une bande de beatniks poilus. Comment pouvaient-ils être mauvais, ils avaient Dieu de leur côté ?
Je vais aller droit au but et dire que le leadership à Sherbrooke ne s’est jamais vraiment amélioré, comme en témoigne l’affaire Rock Forest dans les années 1980 que nous avons déjà couverte. Nadeau a été évincé en 1970, suivi d’un mandat, Marc Bureau. On se souvient surtout du prochain maire, Jacques O’Bready, pour avoir soutenu en 1981 que les lois alors proposées sur la liberté d’information ne devraient pas s’appliquer aux municipalités parce que «les administrations municipales font déjà du bon travail pour dire à leurs citoyens ce qui se passe».
“L’ami des motards” choisi l’homme do mois de septembre par La TRIBUNE
En octobre 1969, La Tribune consacra le Père Jean Salvail comme « l’homme du mois », le jeune Abbé qui « voulait vivre dans le milieu contesté des jeunes motards amateurs à qui la population avait tant de reproches ». La Tribune poursuit :
“Incompris, mal jugés, souvent injustement, les jeunes, qui recherchent des sensations fortes sur leur moto, ont trouvé un frère, un guide, “un mec qui pense plus qu’eux et qui est là quand on a besoin de lui”. Il est à noter que les policiers de Sherbrooke n’ont pas eu à adresser de reproches majeurs aux motards depuis que l’abbé Salvail est devenu membre du « gang ». “
“L’ami des motards” choisi l’homme do mois de septembre par La TRIBUNE, October 18, 1969
La Tribune rappelle à nouveau que l’abbé Salvail est désormais le président des trois clans « Gitans », ceux de Sherbrooke, Frelighsburg et Cowansville, et que parmi les motards, « il ne faut rien faire pour nuire à la réputation du club, et le portage d’armes et l’usage de drogues sont strictement interdits.
Dans un « appel-réponse » qui n’aurait pu se faire que grâce aux encouragements de La Tribune, le printemps suivant, mai 1970, la police municipale de Cowansville rend hommage à deux membres du club des Gitans. Robert Ménard, secrétaire de la section de Cowansville, est nommé « gentleman motard de 1969 ». Une mention honorable a été décernée au président du club, Claude Levesque. Le chef de police de Cowansville a indiqué qu’il songeait à organiser des compétitions de motos, ce qui serait perçu comme un signe de collaboration entre les motards et les policiers. Cet été-là, un tel événement a eu lieu, à Sherbrooke, bien sûr :
Le président des Gitans, Georges Bo-Boy Beaulieu, a été interviewé lors de l’événement et a posé des questions aussi difficiles que « Pourquoi avez-vous les cheveux longs » et « Êtes-vous satisfait d’être un motocycliste ? » Néanmoins, certaines des réponses de Beaulieu étaient intéressantes :
« Le président (du club) a une autorité absolue. Les membres le respectent et suivent ses instructions, encore plus qu’ils ne suivent les instructions de leur mère dans la plupart des cas.
Nous sommes libres d’aller où nous voulons et nous ne sommes pas attachés aux routes. Si tu veux aller dans les bois, tu y vas et c’est tout. Nous avons la liberté que le citoyen ordinaire ne peut pas avoir. “
La Tribune. 6 juillet 1970
Trois ans plus tard, le calliope s’est écrasé au sol. Le 5 octobre 1973, The Sherbrooke Record rapporte comment les rivalités entre les Atomes et les Gitans « ont éclaté en guerre ouverte ». Georges Beaulieu et Lucien Cyr, qui seraient affiliés à un gang montréalais, ont été accusés d’avoir tiré et d’avoir tenté de frapper trois membres des Atoms à l’extérieur de la discothèque Chez Freud. Des membres de la Police de Sherbrooke et de la Sûreté du Québec (alors appelée la Force de police du Québec ou FPQ) ont alors fait une descente au « camp » de St Denis de Brompton et ont découvert un vaste arsenal de « carabines, fusils de chasse, revolvers, couteaux, une machette et des armes fabriquées des chaînes », à côté d’une grande cache de munitions.
Ce n’était pas le premier incident connu de la police, mais c’était la première fois que le public était au courant de la rivalité – non pas par La Tribune, mais dans l’autre journal anglophone de Sherbrooke, The Record. Selon des sources policières, les violences avaient commencé deux ans plus tôt lorsque les Gitans avaient arraché les couleurs ou les écussons des membres des Atomes, un acte considéré comme impardonnable. Des escarmouches s’ensuivirent devant les boîtes de nuit et les parkings. Fin septembre, le camp des Atomes à Edwidge – un village à 15 kilomètres au sud-est de Compton – a été incendié par les Gitans. Selon la police, les conflits se résumaient au territoire, « les Gitans ne croient pas qu’il y ait assez de place à Sherbrooke pour deux gangs ».
Le 23 octobre 1973, The Sherbrooke Record rapporte que deux membres des Gitans ont traîné une adolescente d’une boîte de nuit avec l’intention de la ramener au camp de St Denis de Brompton pour un viol collectif. La nouvelle a fait la une du Sherbrooke Record mais n’a pas été rapportée dans La Tribune.
Pour couronner le mois d’octobre, l’histoire suivante a fait toutes les manchettes, y compris La Presse à Montréal :
« Onze membres du club des Gitans ont comparu hier matin devant le magistrat Roland Dugré pour viol et complicité de viol sur deux jeunes filles, âgées de 18 et 24 ans. Guy Pelletier et Jacques Kilteau, 26 ans, sont accusés de viol et complicité de viol. râpé.
Yves Savoie et Laurent Provencher, âgés respectivement de 21 et 23 ans, sont accusés de viol. Nil Fortier, 19 ans, deux chefs d’accusation de complicité de viol; Gaétan Berger, 20 ans, complicité de viol, ainsi que Michel Roy, 33 ans, Michel Fortier, 23 ans, Pierre Jacob, 23 ans et Jacques Boucher, 19 ans
Georges “Boy Boy” Beaulieu, président du Gitans Club, qui était déjà en liberté sous caution dans l’attente d’une enquête préliminaire sur une accusation de voies de fait graves sur la personne d’un membre des Atomes, a été inculpé hier de deux chefs : intimidation d’un témoin dans le cadre de l’enlèvement d’une jeune fille et complicité de viol.”
11 Gitans accusés de viol, La Tribune, 30 octobre 1973
Les Gitans, dont le public avait été amené à croire qu’ils voulaient juste être tranquilles – par la presse, la police, l’église – avaient maintenant violé ou tenté de violer collectivement plusieurs jeunes filles de Sherbrooke. Deux des onze hommes inculpés, Gaétan Berger et Georges Beaulieu seront éventuellement nommés dans le rapport du CECO du gouvernement du Québec.
Et je vais m’arrêter là et vous faire considérer cette connexion Edwidge – Compton mentionnée plus tôt. Au début des années 1970, King’s Hall Compton n’était pas un cégep mixte comme il le devint à la fin de cette décennie, mais un internat privé pour filles. Et vous aviez des motards – des motards qui ont violé collectivement – voyageant le long de la route vers le camp des Atomes, finissant par l’incendier, passant devant cette école quotidiennement. La King’s Hall Girls School a été fermée en 1972, nous dit-on pour des raisons financières. Mais est-ce là toute l’histoire ? Comme il s’agissait d’une institution privée, nous ne saurons peut-être jamais quels abus ont été subis par ces jeunes femmes à moins que quelqu’un ne trouve le courage de se manifester,
Depuis le printemps 1969, lorsqu’ils étaient connus pour la première fois sous le nom de The Dirty Reich, l’implication du père Jean Salvail avec les Gitans leur avait donné le temps dont ils avaient besoin pour s’organiser et devenir une opération criminelle pleinement opérationnelle. Personne dans la presse – certainement pas La Tribune – n’a contacté l’abbé Salvail pour lui demander ses commentaires sur la question.