NOS POLICIERS – SONT-ILS DES BONS ENQUETEURS

GERALD ASSELIN – LE PETIT JOURNAL, 24 DECEMBRE 1972
“Où sont les Maigret, Vidocq, Hercule Poirot, Sherlock Holmes de nos services policiers?
C’est ce que nous demandions il y a deux semaines en déplorant le grand nombre de meurtres d’enfants non résolus dans notre province et le peu d’intérêt apparent des enquêteurs envers les criminels sadiques.
Notre enquête nous a incité à étudier le dossier de la criminalité pour les 15 dernières années. Les résultats, devons-nous avouer, sont peu reluisants.
On peut, en comparant certaines années, constater un relâchement très important de l’efficacité policière au Québec dans le domaine des homicides.
De 1953 à 1967 inclusivement, soit durant une période de 15 ans, on a enregistré un total de $33 meurtres au Québec. De ce nombre, on ne décèle que 78 causes non résolues, soit moins de 15 pour cent des meurtres demeurés impunis.
Par contre, durant les quatre dernières années, alors que la peine de mort n’était plus en vigueur, on a dû constater que le nombre des homicides montait en flèche, à une vitesse quatre fois supérieure à la hausse de la population.
De 1968 à 1971 inclusivement, on a en effet signalé 399 meurtres. Par contre, on doit aussi constater que de ce nombre 121 causes n’ont pas encore ere solutionnees, soit plus de 30 pour cent de tous les meurtres des derniéres années. A la lumière de ces statistiques primaires, on pourait donc conclure hâtivement que l’efficacité des enquêteurs à diminué de 50 pour cent car ils laissent maintenant 30 cent des meurtres en liberté, contre 15 pour cent seulement dans les années antérieures à 1968.
DIVERSES CATÉGORIES
C’est toutefois en classant les crimes par catégories qu’on peut le mieux évaluer la valeur des enquêteurs de nos escouades des homicides.
Durant iles quatre derniéres années, on signale que 186 des 399 meurtres commis au Québec sont des drames familiaux ou des bagarres. Ces homicides comprennent les infanticides, les batailles fatales entre amis et, en fait, tous les homicides commis au sein d’une famille ou d’un groupe donné, ou encore devant témoins.
Ces 182 meurtres ont tous ete resolus a la satisfaction des policiers, très souvent après une journée seulement, ou même quelques heures d’enquête. En fait, ces homicides ne réclamaient aucune enquête particulière et ne requéraient que des secrétaires pour prendre les dépositions et, quelques fois, reléguer les criminels devant les psychiatres.
Dans 182 cas sur 399, on peut donc accorder aux policiers une efficacité à 100 pour cent. Ils ont capturé tous les meurtriers d’enfants, quand les coupables étaient ics parents. Quand les coupables sont des sadiques, il en va tout autrement.
Sur les 217 autres homicides, il reste donc 121 causes non résolues: donc, plus de 55 pour cent.
Sur les 21 homicides non résolus, on retrouve le chiffre astronomique de 66 règlements de comptes en quatre ans seulement, soit tout prés de 50 pour cent des crimes non résolus.
En fait, durant ces quatre annees, on n’a resolu et condamne que sept personnes en relation avec des reglements de comptes au sein de la pègre. Les enquêteurs, dans ce type d’homicide, ne sont donc efficaces qu’à environ 10 pour cent, ce qui est très loin de la moyenne générale d’efficacité qui est de près de 60 pour cent.
Nos enquêteurs se retrouvent tou ois avec un dossier légèrement supérieur lorsqu’i s’agit de meurtres crapuleux.
Depuis quatre ans, on signale que 37 meurtres crapuleux, commis au cours de vols à main armée, de cambriolages, d’attentats sur la personne ou lors d’assauts pour voler, n’ont pas été résolus. Mais, en quatre ans, on signale environ 80 meurtres de ce genre. La moyenne des causes solutionnées est donc légèrement supérieure à 50 pour cent, surtout que cinq de ces meurtres ont été perpétrés sur des policiers et ont tous été résolus.
Par ailleurs, durant ces quatre années terribles de nos dossiers criminels, on s’aperçoit que les sadiques qui ont tué 15 jeune filles ou enfants pour satisfaire des instincts pervers sont toujours au large. Seulement meurtres de ce type ont été résolus durant cette période, soit moins de 30 pour cent.
Enfin, il reste deux homicides que l’on ne peut cataloguer parce que trop mystérieux.
Il faut donc en conclure que les meurtriers qui peuvent le plus facilement échapper aux enquêteurs- policiers sont les tueurs de a pégre et les sadiques.
Nous faisons remarquer a nos lecteurs que nous avons évité volontairement de tenir compte des homicides commis au cours de la présente année, afin de donner une chance a nos enquéteurs de se pencher plus longuement sur les dossiers.
MOINS BONS
Il ne reste donc qu’une question à se poser: nos policiers sont-ils moins bons qu’auparavant?
Non! Au contraire. Nos policiers actuels sont aussi intelligents et bien entraînés que leurs prédécesseurs. Le probléme réside dans leur petit nombre et les modifications à notre code criminel qui font de ce livre le “protecteur du criminel plutot que du citoyen”.
Les escouades des homicides, qu’elles soient de Montréal ou de la Sûreté du Québec, n’ont augmenté leurs effectifs que de 15 pour cent environ depuis cinq ans. Le nombre des meurtres, par ailleurs, a triplé depuis quatre ans. Tirons-en donc les conclusions qui s’imposent!
Point n’est besoin de dire que les policiers ne prisent guère l’attitude de la Couronne, ou du ministère de la Justice, qui, depuis trois ans, multiplie les “cadeaux aux criminels” afin d’épargner de l’argent.
ACCUSATIONS REDUITES
En 1970, le ministère de la Justice a en effet accepté uñe première. Un meurtrier, qui n’aurait pu être condamné sans une longue enquéte et d’onéreuses procédures judiciaires, obtenait la permission de plaider coupable à une accusation d’homicide involontaire. On évitait ainsi un procès devant jury et une enquête qui aurait pu s’avérer aride.
C’était la première fois au Québec qu’on invitait ainsi un meurtrier à n’expier son crime que de quelques années de prison.
Cette cause-type semble avoir plu aux procureurs de la Couronne puisqu’en 1971, au moins 17 meurtriers ont ainsi évité le procès et des peines d’emprisonnement à vie, en plaidant coupable à des accusations d’homicides involontaires.
Cette année, ce nombre dépassera probablement 20 causés.
“Pourquoi enquéterions- nous durant des semaines et des mois sur certaines causes, sachant que la Justice permettra au meurtrier d’être libéré sous cautionnement, de plaider coupable à une accusation moindre et de ne passer que trois ans en prison pour un homicide souvent horrible? C’est notre système judiciaire qui est pourri: un système qui permet aux politiciens de voter des lois protégeant les criminels plutôt que la société, sous la pression d’une population trop sensible et ignorante des dangers qui l’entourent,” nous a affirmé un enquêteur désabusé.
Une conclusion à tirer: nos enquêteurs ne sont pas incompétents, c’est la Justice qui est… injuste.”