DES INCOMPETENTS: NOS DETECTIVES ET POLICIERS
GERARD ASSELIN, LE PETIT JOURNAL – 10 DECEMBRE, 1972
“Une société peut- elle se permettre de ne pas tenter, par tous les moyens à sa disposition, de faire payer leurs crimes aux tueurs d’enfants? C’est ce que l’on peut se demander devant le piètre dossier policier au Québec dans ce domaine.
On sait pertinemment dans la population, que les enquêteurs, qu’ils soient de la Sûreté du Québec ou de cel- le de Montréal, se préoccupent très peu des assassinats impliquant des règlements de comptes au sein de la pêgre. En fait, les policiers font, dans de tels cas, une petite enquête de routine, ouvrent un dossier… et le laissent dans cet état jusqu’à ce qu’on l’oublie ou que ie coupable se livre: ce qui est très rare. C’est pour- quoi plus de 95% des règlements de comptes ne sont jamais officiellement résolus!
De quelles catégories de meurtriers nos enquêteurs s’occupent-ils alors? C’est ce que l’on peut se demander en constatant que les tueurs d’enfants, au Québec. demeurent impunis dans la majorité des cas.
Nos dossiers nous démontrent en effet que depuis un peu plus de deux ans, les assassins qui ont mis fin à la vie d’enfants s’en sont tirés à très bon compte. lis sont presque tous au large.
Précisons d’abord que nous n’insérons pas dans les tueurs d’enfants les parents ayant pratiqué l’infanticide par dépression nerveuse ou crise de folie. En 1971, on a dénombré 13 meurtres du genre ayant fait 16 victimes. En 1970, il y eut 13 victimes. Dans tous les cas, les parents se sont livrés à la police ou se sont suicidés. Alors, les policiers n’eurent pas à faire enquête.
LES PLUS ODIEUX
Par contre, durant les quelque deux dernières années, les meurtres les plus crapuleux et les plus odieux ont eu des enfants pour victimes et, pourtant, les responsables courent encore dans la presque totalité des cas.
Citons quelques cas de meurtres non éclaircis:
En septembre 1971, on retrouvait dans un boisé de Hull, le corps du petit Gilles Leblanc. Agé de 10 ans, l’enfant avait été poignardé à trois reprises et son crâne fut fracassé avec une pierre par un ou plusieurs inconnus qui l’avaient plus tôt enleve pour une rançon de $3,000. Son meurtrier court toujours.
Toujours à Hull, à la mi- septembre 1972, on retrouvait le corps nu de la petite Lucie Dore, âgée de 13 ans. dans un autre boisé. Son meurtrier court toujours.
En février 1971, à Drummondville, disparaissait à 14 ans, Alice Paré, une jolie fillette dont le corps ne fut retrouvé que trois mois plus tard dans un bois. Son meurtrier court toujours.
En septembre 1969, à Montréal-Nord, on retrouvait en bordure d’une petite route le corps affreusement mutilé de Teresa Martin, âgée de 14 ans. Son meurtrier court toujours.
En juillet 1970, à Saint- Lin, un citoyen était horrifié en découvrant le corps de Danièle Thomas, âgée de 17 ans, tuée par un sadique “en chaleur”. Son meurtrier court toujours.
Enfin, le cas le plus pathétique: en juin dernier, Chantal De Mongaillard, âgée de 4 ans, de Saint- Hubert, disparaissait mystérieusement. On sait qu’elle est morte. Mais, son meurtrier court toujours.
Avant d’analyser ces enquêtes, penchons-nous sur les cas qui ont été solutionnés.
MEURTRES RESOLUS
De juin 1969 au début de 1970, quatre jeunes Montréalaises – Norma Vaillancourt, Shirley Audette, Marielle Archambault et Jean Way – étaient étranglées, violées et mutilées. Leur meurtrier, Bill, fut appréhendé à Winnipeg a la suite d’un autre assassinat semblable, il y a huit mois, et a avoué son crime et les quatre précédents. A Montréal. nos enquêteurs ont vite crié “nous avons retrouvé Bill”, alors même qu’ils publiaient depuis des mois une photo qui n’avait rien à voir avec le vrai meurtrier. Par ailleurs, ils ont avoué avoir interrogé ce dernier à la suite de la mort de la jeune Audette, et l’avoir laissé libre, a titre de non-suspect…
Par contre, les meurtriers de jeunes filies sont encore nombreux en liberté. Citons les meurtres d’Aline Travers et de Suzanne Mercier en juin 1969, à Saint-Romuald, ceux de Suzanne Gilbert et Denise Picard à Saint-Simon (dont le meurtrier prèsumé à pu mourir naturellement et en paix), de Lynda Blanchette de Saint-Lazare, ceux de Louise Pinsonneault et Jean Eagle de Caughnawaga, de Claudia Beauvais a Verdun, et combien d’autres. Mais, passons outre.
Pour faire oublier ces assassinats, les policiers nous citeront quelques cas résolus. Entre autres, les meurtres de Chantal Côté et de Carole Marchand, de Cap-de-la-Madeleine, tuées en juillet ‘71. Un des meurtriers, Michel Joly, avait laissé ses empreintes sur son automobile tombée en panne près la tragédie. Enquête facile et rapide.
UNE SEULE CAUSE
A notre connaissance, un seul meurtrier d’enfant a été appréhendé et condamné à l’issue d’une enquête ardue. Il s’agit du fossoyeur qui, en 1960, tuait Denise Therrien, à Shawinigan. Il ne fut capturé que cinq ans après son crime, et après avoir fait disparaitre une deuxième victime: sa concubine,
Il y eut bien, au début des années 1950, le meurtrier du petit Gilles Trudeau, qui avait tué et dépecé l’enfant, sur la montagne, qui fut appréhendé et pendu. Mais le meurtrier avait avoué son crime à un ami pour “quelques verres d’al- cool”.
Mais, qu’en est-il des meurtriers des deux ou trois dernières années? Presque impossible de le savoir.
Partout où nous avons appelé, on nous a dit “que l’enquête se poursuivait”.
A Montréal-Nord, un adjoint à la Sûreté nous a affirmé, après nous avoir fait répèter le nom à “deux reprises” que le dossier Teresa Martin était ouvert.
A Hull, on a déclaré à haute voix que les dossiers de Gilles Leblanc et Lucie Doré étaient ouverts.
A Drummondville, c’est sans ambage qu’on nous a laissé entendre que le meurtrier de Alice Paré serait capturé et que le dossier était ouvert.
A Saint-Hubert, désespère pas de faire avouer le meurtrier de Chantal De Mongaillard, dont le dossier est ouvert.
Et la SQ ne laissera jamais courir les assassins de Danièle Thomas, d’Aline Travers, de Suzanne Mercier et de tant d’autres, dont les dossiers sont ouverts. Ces déclarations devraient donc apaiser les craintes de la population… a moins que l’on explique ce qu’est un dossier ouvert.
Dossier ouvert est tout simplement le terme qu’utitisent nos corps policiers pour qualifier une cause de meurtre que l’on n’a pu solutionner dans les jours suivants le crime. Après les interrogatoires de rigueur, en effet, si on n’a pas découvert le meurtrier et si ce dernier n’a pas été dénoncé par un délateur, les policiers placent déclarations et piéces à conviction dans une chemise et la classent.
Les enquêteurs sont alors divertis vers une autre cause. Ils ne reprendront I’enquête que si une nouvelle information inattendue vient s’ajouter au dossier. Sans quoi, les ou le meurtrier n’ont qu’à se fermer la gueule et à recommencer.
NB: — La semaine prochaine, nous ferons une analyse des meurtres réellement solutionnés par enquétes au Québec. Les forces policières affirment que les deux tiers des assassins sont Mais, lorsqu’il y à vraiment enquête, ce pourcentage est-il toujours aussi élevé? Nos policiers sont-ils vraiment de bons enquêteurs? C’est ce que l’on verra!