La quête d’une vie après un meurtre impuni
À 14 ans, John Allore a perdu sa sœur Theresa, tuée par un inconnu dans les Cantons-de-l’Est, une histoire qu’il raconte dans son nouveau livre Wish You Were Here
Publié le 3 janvier 2021 à 6h00
Près de la rivière Coaticook, à 30 mètres de la route la plus proche, il contourne une grosse branche et aperçoit un mannequin submergé dans un étang formé de l’eau de la fonte des neiges.
Trouvant la scène étrange, Robert Ride s’approche et réalise que le mannequin est en fait le corps d’une jeune femme.
Appelée sur les lieux, la police constate que le corps, qui n’est vêtu que de sous-vêtements, porte des marques de strangulation. Deux morceaux de foulard sont découverts non loin. Le coroner remarque la présence d’ecchymoses sous les bras de la victime, suggérant qu’elle a été traînée dans le champ. Son portefeuille est plus tard retrouvé à plusieurs kilomètres de sa dépouille.
Il s’agit du corps de Theresa Allore, étudiante de 19 ans du collège Champlain, à Lennoxville, portée disparue plusieurs mois plus tôt.
Âgé d’à peine 14 ans à l’époque, John Allore a vécu avec cette impensable brisure toute sa vie. Il le raconte dans Wish You Were Here – A Murdered Girl, a Brother’s Quest and the Hunt for a Serial Killer, un récit d’indifférence policière à faire bouillir le sang, coécrit avec la journaliste et auteure canadienne Patricia Pearson.
Heureuse et unie, sa famille n’a plus été la même après la disparition de Theresa, explique John Allore en entrevue téléphonique.
“C’est mon père qui a dû aller identifier le corps de Theresa à la morgue de la Sûreté du Québec, rue Parthenais, à Montréal. Il y est entré seul. Quand il en est ressorti, c’est comme si sa vie avait quitté son corps. Il n’a plus jamais été le même homme.”
John Allore
Les autorités indifférentes
L’élément qui interpelle dans Wish You Were Here est l’indifférence avec laquelle la direction du collège Champlain et la police locale ont traité la disparition inexpliquée de Theresa Allore, survenue un vendredi soir de novembre 1978 sur le campus de Compton.
Le collège Champlain, où elle était pensionnaire, s’est complètement désintéressé de sa disparition sous prétexte qu’elle avait eu lieu en dehors des murs de l’établissement. Élève douée et assidue, Theresa a vite été dépeinte comme une fille perdue, imprévisible et amatrice de drogue par les autorités locales.
Si bien qu’après la disparition, la famille Allore a été laissée à elle-même. « Ça rendait mes parents fous. Ils ne comprenaient pas pourquoi ni la police ni l’école ne s’intéressaient à Theresa. Un ami de ma sœur qui avait appris la nouvelle de sa disparition est arrivé pour aider et a dit qu’il s’attendait à voir des hélicoptères dans le ciel. Mais il n’y avait rien. Mon père faisait du porte-à-porte avec une photo de ma sœur parce que la police refusait de le faire. »
Même après la découverte du corps, les enquêteurs de la SQ ont estimé que Theresa avait sans doute fait une surdose et que des élèves paniqués avaient transporté son corps dans les bois – bien qu’elle ait été retrouvée à un kilomètre du collège, et que l’autopsie n’ait révélé la présence d’aucune drogue dans son organisme.
La SQ préoccupée par un autre enlèvement
À l’époque, la Sûreté du Québec était préoccupée par l’enlèvement de Charles Marion, directeur du crédit à la Caisse populaire Desjardins de Sherbrooke-Est, qui monopolisait l’attention médiatique dans la province, note John Allore, qui est aussi l’auteur de la balado émission Who Killed Theresa? et du blogue du même nom qui porte sur les meurtres non résolus de jeunes femmes au Québec.
« Je crois que tout le monde défendait ses arrières et évitait d’assumer la responsabilité. La SQ s’intéressait aux “vraies choses” : le crime organisé, les Hells Angels, les trafiquants de drogue… Une jeune femme qui se fait tuer près de Sherbrooke ? Et après ? »
“Les femmes à qui je raconte cette histoire se mettent tout de suite en colère, parce que c’est tellement évident pour elles. Elles subissent des violences sexuelles depuis toujours.”
John Allore
En faisant des recherches au début des années 2000, John Allore a réalisé que deux autres victimes, Louise Camirand, 20 ans, et Manon Dubé, 10 ans, avaient été retrouvées sans vie dans des boisés de la région en 1977 et 1978.
John Allore a aussi constaté qu’entre 10 et 15 femmes avaient rapporté des tentatives d’enlèvement à cette époque de la part d’un homme assez petit, avec une coupe de cheveux en bol et une moustache noire, qui conduisait une voiture en mauvais état dont la portière côté passager avait été modifiée afin qu’elle ne puisse pas s’ouvrir de l’intérieur. Plusieurs victimes parlaient aussi de ses mains, qui étaient grosses et extrêmement puissantes.
Cet homme, Luc Grégoire, a plus tard déménagé à Edmonton puis à Calgary, où il a été reconnu coupable d’un vol à main armée, puis de l’enlèvement et du meurtre en mai 1993 de Lailanie Silva, une jeune femme de 21 ans qu’il avait agressée sexuellement et étranglée avant d’abandonner son corps dans un terrain vague.
Après l’arrestation de Grégoire, les enquêteurs ont trouvé dans son appartement une boîte à souliers qui contenait des bijoux bon marché, comme en portent des jeunes filles.
La propriétaire du logement avait demandé si les enquêteurs allaient se pencher sur les bijoux et s’était fait répondre que Grégoire s’en allait en prison à vie de toute façon, et qu’il ne fallait pas s’en faire.
“Dans le cas de Theresa, ses boucles d’oreilles, sa montre et ses bagues ont été retrouvées, mais pas son collier. On peut se demander s’il était dans cette boîte. C’est une question sans réponse.”
John Allore
John Allore a fait analyser les données des meurtres de Theresa Allore, Louise Camirand et Manon Dubé par un criminologue reconnu, selon qui ces meurtres sexuels sont si inhabituels que tout semble indiquer qu’ils auraient pu être commis par la même personne.
John Allore croit que Luc Grégoire, mort en prison en 2015, est peut-être l’auteur du meurtre de sa sœur, de même que de ceux de quatre autres jeunes femmes au Québec et deux autres en Alberta.
Après environ 20 ans à s’intéresser au meurtre impuni de sa sœur, John Allore veut maintenant trouver d’autres sujets à fouiller. « Il y a toujours une forme d’exploitation quand on raconte l’histoire d’une victime, dit-il. J’en suis conscient. Je l’ai longtemps fait dans le but de faire avancer l’enquête, mais maintenant je trouve ça plus difficile. Je crois qu’il est temps pour moi de faire une pause. »
J ‘ ai hâte de pouvoir le lire en Français . Salut John!!
Moi aussi Robert. Salut!